“Roppongi Crossing, Future Beats in Japanese Contemporary Art” au Musée Mori de Tokyo

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jusqu’au 14 janvier 2008

“Roppongi Crossing, Future Beats in Japanese Contemporary Art”
au Musée Mori de Tokyo

par Valérie Douniaux

expo_tokyoMusée Mori clik ici

L’exposition “Roppongi Crossing, Future Beats in Japanese Contemporary Art”, présentée encore jusqu’au 14 janvier 2008 au Musée Mori de Tokyo, est l’occasion de réfléchir un peu à la situation actuelle de l’art contemporain au Japon.

Seconde édition d’une manifestation présentée pour la première fois en 2004, Roppongi Crossing se fixe pour but de témoigner de l’énergie actuelle de la scène japonaise, dans différents modes d’expression, à travers une sélection déterminée par un groupe de commissaires. Pour l’édition 2007, quatre personnalités de l’art contemporain japonais(1) se sont penchées sur l’idée “d’intersection”(2), sélectionnant au final trente-six artistes dont le travail semble effacer les frontières entre les genres.

On trouve ainsi dans l’exposition aussi bien de la peinture, que de la sculpture, de la photographie, du design ou de la vidéo, et même de la bande dessinée (Yuichi Yokoyama, auteur de mangas très épurées, sans dialogues), de la création de poupées (très bellmeriennes), de la décoration murale … Difficile donc d’obtenir une présentation homogène et cohérente, d’autant que l’exposition réunit aussi bien de jeunes créateurs (parfois tous frais émoulus des Beaux-Arts) que de « grands aînés » à la renommée déjà bien établie (l’exposition commence ainsi sur une salle dominée par les inquiétants chiens de Yoshino Tatsumi, ex-membre des Neo-Dada Organizers, groupe d’avant-garde très actif dans les années 1960).

Selon le communiqué de presse, ces « juxtapositions étonnantes fournissent une opportunité de découvrir des similitudes inattendues et aussi de repérer les réseaux invisibles d’influence et d’hommages qui connectent les artistes des trois dernières décades », en quelque sorte une manière de « prendre le pouls » de la création artistique dans l’archipel.

Il est parfois difficile de saisir la logique qui a sous-tendu les choix du comité de sélection, ce qui ramène à la question prépondérante du rôle du commissaire dans l’exposition. Ce problème apparaît pourtant plus occidental que japonais, le souci au Japon résidant plus souvent au contraire dans l’apparente absence de réflexion au niveau de l’accrochage. De toute évidence, l’exposition ne permet pas d’appréhender de manière globale la scène japonaise actuelle, mais au moins elle n’a aucunement cette prétention, et on peut malgré tout voir émerger au fil des salles certaines des tendances qui se sont manifestées dans l’art japonais depuis quelques années :

On retrouve dès la première partie de l’exposition des représentants de cette nouvelle figuration qui domine le marché de l’art actuel au Japon. Une figuration d’aspect léger et naïf, très « pop » et enfantine, bien que parfois teintée d’une certaine ironie. Les oeuvres de Yayoi Deki, l’une des plus jeunes artistes présentées dans l’exposition en sont un excellent exemple. Dans la même salle, le grand précurseur Tateishi Tiger (1941-1998), seul participant posthume de l’exposition, offre une puissance de réflexion qui semble malheureusement souvent absente chez ses héritiers.

sakagishi yoshio
sakagishi yoshio

 

Le goût de la miniaturisation est également fortement présent tout au long de l’exposition, comme il l’est depuis un certain temps sur la scène japonaise et, pourrait-on dire, depuis toujours dans la tradition artistique nippone. La reproduction en bois par Takahiro Iwasaki du Pavillon d’Or et de son ombre en offre une illustration frappante, tout en faisant simultanément un autre clin d’œil aux plus éminents symboles de la culture traditionnelle nippone par son sujet même. On retrouve aussi la tendance miniaturiste dans les gravures de la toute jeune Etsuko Fukaya (1981) , dans les « mini-sculptures » de Yoshio Sakagishi, patiemment conçues à partir de fines gouttes d’argile déposées une à une à l’aide d’une seringue, ou dans les travaux graphiques sur support diapositive -ci-dessous- de Nobuhiro Nakanishi, auteur de ce qui est à notre sens la plus belle pièce de l’exposition, une installation composée d’une série de photographies sur plexiglas montrant les différentes étapes d’un coucher de soleil sur Roppongi.

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Nobuhiro Nakanishi

 

La minutie technique est également une constante, que ce soit dans les petits formats précédemment cités ou dans les dessins minutieux de Yoshio Yoshimura , qui s’est attaché à reproduire exactement au crayon graphite un journal japonais, jouant ainsi avec humour de l’image de copieurs si souvent collée aux Japonais. La remarquable installation de Shu Enoki, qui a reçu le prix du Musée Mori(3), est aussi à la fois un travail de haute qualité technique, sachant donner à des pièces de rebut brillance et élégance, et la plongée dans un univers de science-fiction. Ce skyline à la beauté glaciale et presque inquiétante est une allégorie saisissante d’un monde urbain ultramoderne, d’un futur déjà présent. Il faut également distinguer une œuvre qui pourrait passer facilement inaperçue parmi cette réunion un peu disparate d’installations et œuvres parfois clinquantes : une superbe pièce en laque de Nobuyuki Tanaka, dont la qualité technique et la sobriété n’altèrent pas la force, et qui affirme que même les techniques les plus traditionnelles peuvent encore offrir d’infinis possibles.

Enoki Chu RPM-1200 2005- H 3.3m, Dia. 4.5m Metal Installation View: One Man Show by Chu Enoki, KPO Kirin Plaza Osaka, 2006 Photo: Hirakakiuchi Yuto
Enoki Chu
RPM-1200
2005-
H 3.3m, Dia. 4.5m
Metal
Installation View: One Man Show by Chu Enoki, KPO Kirin Plaza Osaka, 2006
Photo: Hirakakiuchi Yuto

A l’opposé de la démarche de miniaturisation, de nombreuses propositions de l’exposition sont de taille imposante et demandent parfois une participation active du visiteur, qui, de regardeur devient acteur. Ainsi l’installation de Naohiro Ukawa’sA Series of Interpreted Catharsis Episode 1: Hurricane Katrina 2005.8.24.” nécessite du spectateur qu’il enfile un costume de protection blanc pour entrer dans une chambre de plastique transparent, où souffle un vent violent qui fait voler des centaines de papiers monnaie de divers pays, apportés par les visiteurs eux-mêmes. Plus cérébral, l’Arythmetic Garden de Masahiko Sato et Takashi Kiriyama est un labyrinthe dans lequel le spectateur se voit attribuer un nombre qu’il devra, pour pouvoir ressortir, atteindre exactement en passant sous des portiques proposant additions, multiplications et autres combinaisons. Des chiffres et des lettres en 3 D en quelque sorte !

Tanaka Iichiro Drop-eyed DARUMA 2002 dimention variable mixed media Courtesy: Yuka Sasahara Gallery
Tanaka Iichiro
Drop-eyed DARUMA 2002
dimention variable mixed media
Courtesy: Yuka Sasahara Gallery

 

 

Mais il me semble que l’exposition apporte avant tout la preuve de la grande qualité de la production photographique japonaise. L’ensemble des propositions photographiques de l’exposition se révèle d’un excellent niveau, chaque artiste développant un style très personnel, voire une thématique profondément originale. Ainsi, outre l’installation de Nobuhiro Nakanishi déjà citée, les étonnantes photographies du « Japon Underground » de Hideki Uchiyama dévoilent l’envers du décor urbain japonais, un monde parfois proche du fantastique. Plus douces, mais tout aussi étranges à leur manière, les photographies Maiko Haruki développent une poésie en noir et blanc, où des paysages et personnages semblent émerger doucement de l’obscurité, où la frontière entre ombre et lumière, abstraction et image réelle restent floues, comme nimbées d’une douce mélancolie. d’autant plus inquiétant que l’on en mesure la proximité quotidienne. Valérie Douniaux, 22 décembre 2007
valerie douniaux website

Pour en savoir plus sur l’exposition : https://www.mori.art.museum/english/contents/roppongix02/index.html

la revue d’art bilingue anglais-japonais « Art It » offre également dans son dernier numéro divers articles sur l’exposition et certains artistes y participant. https://www.art-it.jp/e_index.php

 

(1) Kazuo Amano (critique d’Art et Professeur à l’Université d’Art et de Design de Kyôto), Natsumi Araki (conservateur au Musée Mori), Naoki Sato (directeur artistique, ASYL, https://www.asyl.co.jp), Noi Sawaragi (critique d’art).

(2) Le titre est aussi un jeu de mots sur la situation géographique du Musée Mori, tout proche du fameux et très animé carrefour (?crossing?) de Roppongi.

(3) L’autre prix, celui du public, a été attribué aux assemblages, vidéos et autres installations pleins d’humour (parfois difficile à appréhender pour les étrangers) de Iichiro Tanaka.

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