Tôkyô s’offre les plus grands musées au monde

La transformation du quartier de Roppongi, autrefois surtout connu pour ses boîtes de nuit fréquentées par les étrangers (de nombreuses ambassades sont installées dans le secteur), en haut lieu de la vie culturelle à Tôkyô, est dû au lancement de plusieurs projets pharaoniques.
A commencer par celui du promoteur immobilier Mori Minoru, les Roppongi Hills, complexe inauguré en avril 2003 et associant bureaux, logements, équipements de loisirs ou d’enseignement. On parle désormais de l’« Art Triangle Roppongi », structuré par la tour Mori, le Centre National d’Art ouvert le 21 janvier, et le nouveau Musée d’Art Suntory qui sera inauguré fin mars, dans le cadre plus global du concept urbanistique « Tôkyô Midtown ».
A ces importantes structures, se sont greffées de nombreuses galeries, très intéressantes pour certaines. Sans compter les boutiques de design et l’omniprésence des grandes marques de luxe occidentales, car Roppongi s’affirme malheureusement avant tout comme le temple de la surconsommation, attirant nouveaux riches et touristes, japonais comme étrangers. Les Roppongi Hills ont d’ailleurs été le théâtre de l’histoire emblématique de Horie Takafumi (surnommé Horiemon en référence au populaire dessin animé Doraemon) et de sa société Livedoor, à la chute aussi fulgurante que l’avait été son ascension.
Le musée de la société Suntory s’est dabord installé en 1961 dans un autre secteur de Tôkyô, se fixant pour but de faire redécouvrir aux Japonais leur héritage artistique. Les propres collections de Suntory comprennent actuellement plus de trois mille pièces d’art et dartisanat (la frontière entre les deux n’étant pas clairement définie au Japon) et la compagnie possède également un très grand nombre (15000 ?) d’affiches dartistes occidentaux, dans son second musée, ouvert en 1994 à Ôsaka et plus orienté sur l’art occidental (avec un programme dexpositions très « grand public » ). Le nouveau musée, œuvre du célèbre architecte Kuma Kengo, fait partie d’un nouveau vaste projet urbanistique, qui ouvrira ses portes au même moment, sur l’ancien site du Ministère de la Défense. Il s’agit de Tôkyô Midtown, regroupant comme les Roppongi Hills espaces culturels (dont le « 21-21 Design Sight» dédié comme son nom l’indique au design), logements, restaurants, boutiques…
vue de la Mori Tower
Le Musée Mori -2000 m² de surface d’exposition, mais est-ce vraiment un musée puisqu’il n’y a eu pour l’instant que des expositions temporaires ?- est situé au cinquante-troisième et avant-dernier étage de la tour du même nom. Cette tour est l’axe central de l’ensemble architectural dit des « Roppongi Hills », rêvé par l’homme d’affaires mégalomane Mori. Sorti du métro, il faut, pour gagner le musée, traverser une esplanade, ponctuée d’œuvres dont l’immense araignée de Louise Bourgeois. Difficile également d’échapper à Murakami Takashi lorsqu’on se trouve à Roppongi Hills. Depuis les multitudes de stands de souvenirs aux effigies des Kaikai Kiki jusquaux autobus, partout Murakami a laissé son empreinte, jusqu’à nous faire parfois friser l’overdose.
Je dois bien avouer que j’ai été, comme beaucoup, d’abord très critique envers Roppongi Hills, mais je dois maintenant réviser un peu ma copie et nuancer mon propos. Certes, j’ai toujours autant de mal à aborder cette architecture à la fois froide et grandiloquente, et suis toujours gênée par la présence trop évidente d’un important personnel d’accueil et de sécurité. Car, si la sensation de sécurité générale que l’on ressent au Japon, tout comme la qualité irréprochable des services et la propreté sont extrêmement appréciables (on s’y habitue vite !), elle est aux Roppongi Hills si appuyée, avec un personnel qui fait penser à une petite armée, que cela en devient parfois assez désagréable (et tout ceci na pas empêché le décès d’un enfant de six ans, coincé par une porte tournante automatique, autre drame qui a profondément terni l’image de la Mori Tower). Sans oublier la sensation que tout est fait pour obliger le visiteur à dépenser un maximum d’argent.
Cependant, il faut donc admettre que certaines des expositions présentées depuis 2003 par le Mori Art Museum se révèlent très intéressantes. Les thèmes des expositions sont généralement très accessibles, ouverts à un large public. Ainsi, lors de ma dernière visite, le sujet du moment était le rire : le sourire dans l’art traditionnel japonais, et le rire et l’humour dans l’art contemporain, japonais et occidental. La première partie surtout m’a parue fort intéressante, la seconde plus inégale, avec une foisonnance de vidéos et installations pas toujours très drôles…
Après la visite du musée Mori, il ne faut surtout pas rater le Tokyo City View, situé à l’étage juste en dessous, et dont l’accès est compris dans le billet d’entrée aux expositions. La vue sur la ville est époustouflante et, avec un peu de chance, on peut apercevoir le mont Fuji, les jours sans brume.
Troisième point de mire de ce quartier en pleine ébullition, le nouveau Centre National des Arts de Tôkyô, a ouvert ses portes en grande pompe en ce début d’année 2007. Il s’agit donc cette fois d’une institution nationale (il y en a peu au Japon) et non d’une entreprise privée. Le lieu se présente en toute modestie comme le plus grand centre d’exposition au monde. “Nous serons en mesure d’accueillir n’importe quand, n’importe quelle exposition japonaise ou étrangère –cet aspect imprévisible, doublé de la mission d’attirer de jeunes et nouveaux artistes de talent, est la principale originalité du musée”, a expliqué à l’AFP l’architecte Kurokawa Kisho (qui a décidé d’entrer la course au poste de gouverneur de Tôkyô !). Et d’ajouter : “Ce serait mission impossible pour le Musée du Louvre, mais réalisable pour notre Centre national d’art. Je pense qu’il s’agit du nouvel esprit du 21e siècle ».
En effet, pas de collection permanente ici, mais uniquement, selon un concept très japonais, un ensemble de surfaces conçues pour la présentation d’expositions temporaires (ironiquement, l’appellation japonaise du site, Kokuritsu Shin-Bijutsukan, signifie littéralement « Nouveau Musée National»). L’univers artistique japonais est en grande partie régi par ce système d’espaces prêtés ou la plupart du temps loués, même les galeries (de plus en plus de galeries reprennent d’ailleurs malheureusement ce principe en France). C’est dire les difficultés rencontrées par un jeune artiste non encore soutenu par une galerie « traditionnelle », ou qui ne dispose pas de soutiens financiers conséquents (les prix étant souvent prohibitifs, et les durées d’exposition très courtes, cinq jours à une semaine en moyenne), pour présenter son travail. D’où limportance des expositions organisées par les écoles dart, ou le nombre pléthorique d’associations ou groupes d’artistes, qui montent des expositions collectives.
De plus en plus de jeunes artistes cherchent également des solutions originales pour remédier à cette situation. La scène artistique japonaise apparaît ainsi comme extrêmement fragmentée, avec une multitude de lieux du plus minuscule au plus vaste, dévénements très ponctuels… rendant difficile toute vision d’ensemble.
Pour revenir au nouveau Centre National, et selon une source AFP « outre l’avantage de s’épargner les exorbitantes dépenses d’une collection propre, M. Kurokawa envisage à terme d’éviter les aléas d’un transport des oeuvres d’art, en projetant les photographies des oeuvres sur des écrans plats accrochés aux murs, à l’aide des technologies numériques les plus pointues ! ».
Venons-en maintenant à ma propre opinion sur le lieu. Première déception, le bâtiment en lui-même, bien qu’impressionnant avec sa gigantesque et sinueuse façade de verre, laisse de l’extérieur une singulière impression de déjà vu quant à ses formes mêmes (surtout lentrée conique), dans un pays où toutes les audaces architecturales sont permises. A l’intérieur de cette bulle de verre (associé au bois, à lacier et au béton), l’aménagement est certes empreint d’une certaine élégance grâce au choix de matériaux et couleurs naturels, très japonais, mais nous sommes également ici dans un espace « classique », sans surprises, si ce n’est la taille des surfaces. Et l’aspect commercial est une fois encore très présent, avec plusieurs cafés et restaurants portant tous des noms évocateurs de la France (de la cafétéria au restaurant supervisé par Paul Bocuse), susceptibles de séduire le consommateur japonais.
Lors de ma visite, le Centre proposait simultanément deux énormes expositions : Living in the Material World, Things in Art of the 20th Century and Beyond, conçue par les conservateurs du centre (une équipe très restreinte, beaucoup trop par rapport aux 14000 m² de surface d’exposition et au très lourd programme comportant toujours plusieurs expositions simultanées) ; et « Paris du monde entier : Artistes étrangers à Paris, 1900-2005 », une exposition organisée par le Centre Pompidou. Ne disposant que d’un temps limité, j’ai opté pour cette seconde exposition, curieuse de voir la place accordée aux artistes japonais de Paris dans ce parcours. Je ne détaillerai pas mes impressions sur le fond de l’exposition en elle-même, mais surtout ce qui a été la cause de ma plus grande déception dans ce nouveau centre : l’éclairage calamiteux des salles d’exposition. Très hautes de plafond, elles disposent d’un éclairage insuffisant et mal dirigé. Si on ajoute à cela que la plupart des photographies exposées nétaient pas encadrées sous verre anti-reflets, je vous laisse imaginer la frustration de ne pouvoir voir correctement les œuvres ! Il faut espérer quil ne sagit que d’un souci temporaire, et que des solutions seront trouvées pour remédier à cela. Mais on se demande parfois comment résonnent les architectes en charge des projets d’édifices publics, et s’ils réfléchissent véritablement aux aspects pratiques liés à l’usage final de leur projet.
Valérie Douniaux, le 8 mars 2007
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