Autopsy: La miniature selon Robert Devriendt

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Born in 1955 in Belgium
Lives and works in Bruggen, Belgium

TheJerusalemChurchCrime
THE JERUSALEM CHURCH CRIME, 2009-2010. Sequence of 5 paintings. Oil on canvas.
Courtesy: Galerie Loevenbruck, Paris
Article below in French. Choose your translation language on the right

Le terme de «miniature» provient de l’italien «miniatura», lui-même issu du verbe latin « miniare», c’est-à-dire «enduire de minium» – un oxyde de plomb de couleur rouge utilisé pour tracer les initiales et les titres appelés « rubriques ». Une miniature désigne la représentation d’une scène ou d’un personnage dans un espace indépendant de l’initiale. » Définition tirée de la base de données du CNRS (centre national de recherches scientifiques)

exemple d’enluminure :
Saint Marc
Heures à l’usage de Rome
Bruges, vers 1510-1525
Rouen, Bibl. mun., ms. 3028 (Leber 142), f. 65

Cette définition de la miniature telle qu’on l’entendait au 15ème  ou 16ème siècle, s’applique plus volontiers à ce que nous nommons aujourd’hui « l’illustration » abandonnant la notion de « petite représentation » que revêt la miniature.

La miniature, en tant que représentation d’une scène autonome en petit format, réapparait sous une forme tout à fait originale chez le peintre Belge, Robert Devriendt.

Robert Devriendt construit depuis plus de dix huit ans une œuvre composée de petits formats de peinture à l’huile sur toile qui fonctionnent par série de cinq à neuf. Les formats fréquemment utilisés font entre 6 et 10 cm de long, guère plus.

Le peintre y pose des éléments figuratifs extrêmement détaillés et identifiables. Les scènes contiennent les indices formels qui indiquent s’il s’agit de l’extérieur, intérieur comme un arbre ou une lampe et nombre d’autres éléments fragmentés le plus souvent, ou dépareillés, comme une chaussure, un buste, un bout de pied, un verre brisé.  Les petites séries constituent un corpus d’énigmes que l’on peut lire de façon autonome et/ou groupée qui, loin d’expliquer une situation, tisse un ensemble d’intrigues qui se complexifient au fur et à mesure de leur lecture.


DIE GESCHICHTE EINES JÄGERS, 2008. Sequence of 5 paintings. Oil on canvas. Private collection, France.
Courtesy Galerie Loevenbruck clik & courtesy Photo: Fabrice Gousset.

Une peinture sous contrôle

Outre le format, premier point commun avec la miniature, on note un même contrôle du peintre sur son œuvre tant d’un point de vue formel que de fond. Que ce soit la technique, le sujet ou sa composition, rien n’est laissé à l’arbitraire de la gestuelle ou du « ressenti » du peintre.

La technique ici est parfaitement maîtrisée. Pas de coups de brosse intempestifs ou quelconque moelleux séduisant, qui trahiraient un sentiment, une humeur du peintre. Le pinceau cède sa place au sujet, à la composition.

Chaque toile est une scénette proposant un sujet bien précis, intentionnel.  L’extrême réalisme permet de n’avoir aucune ambigüité sur le sujet. Prenons par exemple cette composition ci-dessus : un pied féminin revêt une chaussure de soirée sur lequel sont dispersées quelques goutes de sang et à ses côtés, un verre brisé. La scène ici est évidente, le drame est installé clairement, presque froidement comme un exposé des faits, prêts pour une enquête. Le spectateur ne perd pas de temps à « reconnaître » les éléments peints, ils sont évidents. Ils sont simples, reconnaissables par le plus grand nombre.

La peinture comme champ des possibles

On pourrait identifier ces apparitions réalistes comme équivalentes à une photographie. Il n’en n’est rien et toute la subtilité est là. La peinture opère là où la photographie ne peut plus rien toucher. Grâce à une couleur ou une harmonie colorée, un excès délicat de lumière ou un effacement total du décor au profit d’un seul sujet, grâce à tous ces possibles qu’offre la peinture,  Robert Devriendt peut installer son intrigue, créer une tension.  On peut l’apparenter à un « geste photographique », comportant des emprunts sur le cadrage ou les gros plans mais la comparaison s’arrête là car la peinture ici prend le pouvoir.

 

DIE GESCHICHTE EINES JÄGERS, 2008. Sequence of 5 paintings. Oil on canvas. Vanmoerkerke Collection, Belgium. Courtesy Galerie Baronian-Francey. Photo: Fabrice Gousset.

Une composition qui s’affranchit de la définition de la miniature

La composition quant à elle s’affranchit de la définition de la miniature donnée plus haut car Robert Devriendt en morcelle ou multiplie les propositions.  décompose l’histoire en plusieurs toiles à lire. Il offre au spectateur un jeu, une construction mentale qui consiste à élucider les indices qui sont disposés là sous ses yeux comme autant d’énigmes. L’œil occidental lit naturellement de gauche à droite, mais, le peintre peut s’amuser à glisser une couleur vive au centre par exemple, qui attirera notre rétine en premier et perturbera le sens habituel de lecture. Selon le chemin de l’œil, l’intrigue prendra des couleurs, un sens différent. Cette composition aux lectures multiples complexifie l’intrigue et l’intensifie plutôt qu’elle ne le résout. L’imaginaire de chaque spectateur, unique,  va amplifier cette complexité, brouiller les pistes ou les éclaircir, au gré de son humeur.

Robert Devriendt qui est né et travaille au pays de Georges Simenon nous propose un équivalent au moins aussi énigmatique et inquiétant que le prestigieux père des enquêtes de Maigret. Tout comme lui, il suggère des ambiances, décrit chaque détail scrupuleusement pour finir par donner une étoffe lourde et parfois étouffante à l’ensemble.

HEIDEGGER ‘S FOREST, 2007. Sequence of 5 paintings. Oil on canvas.
Collection Albert & Françoise Baronian, Brussels.
Courtesy Galerie Baronian-Francey clik & Courtesy Photo: Fabrice Gousset.

 

 Des images qui engendrent les mots

Dans les petits formats de Devriendt, l’image fournit le corps principal de l’histoire. A l’inverse de la miniature et de sa fonction primitive d’accompagnement du texte, ce sont les images et leurs combinaisons qui vont engendrer une élaboration littéraire chez le regardeur.

Ces petites séries de peintures s’apparentent, mais en mode inversé,  au genre littéraire de la nouvelle qui se doit, en peu de pages, d’être concise, efficace. Ici c’est l’image qui produit l’histoire et non l’inverse. De même que pour une nouvelle, pas le temps de s’attarder dans les circonvolutions d’un style trop chargé, il faut créer l’alchimie des images qui plantera rapidement, efficacement la trame de l’intrigue.

Robert Devriendt réussit ce tour de force qui consiste à proposer une œuvre qui a pour effet de produire une construction mentale plus littéraire que picturale chez le regardeur.

 

La miniature de Devriendt comme un huis clos

Le très petit format de ces énigmes multiples que nos yeux s’amusent à décrypter, ajoute à la complexité de l’intrigue. Il oblige à une relation intime du spectateur avec chaque tableau. Il doit s’approcher pour mieux voir, mais, dans le même temps, la proposition minimale contenue dans chaque tableau l’oblige à un jeu de va et vient entre les toiles et enfin, le contraint à reculer pour saisir l’ensemble.

Avancer, reculer, voir le détail de gauche à droite puis de droite à gauche, comprendre le tout, c’est finalement le jeu auquel tout amateur d’art devrait se prêter. Robert Devriendt fait œuvre utile en initiant le spectateur au bon mode d’emploi de lecture d’une œuvre d’art.

J’ai aussi envie de voir dans ces tout petits formats de Robert Devriendt une rébellion rafraichissante contre la vague massive des formats gigantesques qui s’abattent dans les expositions muséales et foires d’art contemporains. La miniaturisation de la forme ne signifie pas la miniaturisation du contenu, de la qualité, du sens, c’est peut être aussi le sens de la démarche.

Grand format/Grand talent ? Petit format/Petit talent ? Non décidément ce n’est pas à la superficie qu’une œuvre se comprend et s’évalue ! Merci à Monsieur Devriendt de nous le rappeler.

Béatrice Chassepot –  Los Angeles le 4 février 2010

 

 

 

 

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