Eric Corne à la Galerie Patricia Dorfman

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ERIC CORNE “”Paysage sous influences”, Galerie Patricia Dorfmann, Paris
Mai 2007

La peinture bouge enfin grâce à Eric Corne.

eric corne 02 Babel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’avais eu la chance d’écouter Eric Corne, dans son rôle de commissaire d’exposition où il nous offrait à voir quelques très jeunes peintres prometteurs. Plus tard, j’appris qu’il était à l’origine, de la création du Plateau -lieu d’exposition parisien “cutting edge” qui est devenu par la suite FRAC- et de la création de la Générale -lieu alternatif parisien de création indispensable-

J’avais donc à l’égard d’Eric Corne une admiration sans borne le considérant déjà comme un critique fort érudit , un commissaire d’exposition possédant “l’oeil absolu” et un homme de projets, d’entreprises, qui va au devant de pays comme la Serbie pour ré-introduire la Culture etc.. etc… Bref un grand bonhomme. Le seul point qui restait, pour moi, une interrogation était son propre travail, mais que peignait-il donc ?

C’est l’excellente Galerie Patricia Dorfman qui m’a offert une réponse à cette question en exposant 10 toiles et une vidéo d’Eric Corne. Enfin j’allais voir…

Déconcertée…c’est la toute première impression que j’ai ressentie à la vue de ces petits et grands formats exposés là. Mais qu’est-ce que c’est ? à quoi cela ressemble ? Je suis restée longtemps, très longtemps devant chacune des toiles à regarder chaque détail, puis je suis partie.

Dès la sortie je n’ai eu de cesse de penser et de repenser à ce que j’avais vu, jusqu’au jour où j’ai compris. Cette peinture là ne ressemble à aucune autre, aucune. Tous le codes habituels de la peinture volent en éclat, Eric Corne nous propose tout à fait autre chose.

Il faut donc comprendre. Je visite le site web de la galeriste, regarde chaque détail de chaque image, je retourne à la galerie pour valider. En effet, les proportions, les plans, la matière elle même ne sont plus traités comme nous en avions l’habitude. Même les sujets diffèrent puisque les genres sont mêlés, urbain et paysage. L’aspect figuratif des éléments déstabilise d’autant plus qu’on les reconnait et qu’ils sont souvent même fortement connotés. On croit pénétrer une toile au langage connu et c’est là que tout se bouscule.

Tous les repères sautent, c’est tout simplement nouveau, génial et au moins aussi important que la découverte du cubisme…

Je retourne une troisième fois à la galerie avec Eric Corne cette fois. Cet homme est un tourbillon génial, toujours avide de connaitre les autres, ses pairs, ceux de maintenant et ceux d’avant. Il cite les plus grands noms comme Poussin, les Américains, les Anglais, dit son influence du Nord “je suis du Nord, ça se voit, je n’y échappe pas, les couleurs, la matière c’est le Nord, regardez Van Gogh lui non plus, il n’a pas pu y échapper, c’est comme ça”

Le mot clef de la compréhension du travail d’Eric Corne c’est : couleur.

Elle est à la fois le moyen et le but. C’est la confrontation de la couleur avec la toile plane, champs des possibles à façonner, qui l’intéresse. Vraie démarche de peintre. La composition de la toile passe par la couleur : ses combinaisons complémentaires ou en opposition -comme de vieux amants qui se disputent-, sa circulation qui invite l’oeœil à la mobilité.

Les couleurs sont toujours pures, vives, nuancées rarement mais jamais sales, il leur faut un éclat, une vibration. Elles sont tirées à l’extrême de leur possibilité, tel jaune sera flamboyant presque acide, tel orange presque fluo. Il joue avec les couleurs comme Jimmy Hendrix tire sur la corde de sa guitare électrique pour obtenir le son ultime, à la limite.

Je comprends alors que seule la composition de la couleur juste compte. S’il faut vingt couches de peinture pour y parvenir ou un seul jus léger, peu importe, la recherche est ailleurs, dans l’organisation de la toile. Alors, selon les toiles, la matière est parfois fluide ou parfois en pâte ou bien les deux à la fois sur la même toile. Là aussi la démarche n’est pas habituelle, l’harmonie n’est plus là où l’on avait l’habitude de l’attendre..

Le sujet lui aussi déstabilise.

Il est apparemment figuratif, mais là aussi le sens n’est pas celui que l’on croit au premier regard car il s’agit plus exactement d’une somme d’éléments figuratifs combinés ensemble. Ils proviennent d’images qui s’imposent ça et là à Eric Corne, au cours d’une journée, d’un voyage. Quelques mois après cet entassement, certaines d’entre elles surgissent de sa mémoire pour s’imposer comme une évidence sur la toile en cours. Il la promène sur sa toile jusqu’à lui trouver la bonne place, qui viendra en écho à une autre.

Le format de la représentation choisie n’est pas proportionnel aux autres images présentes dans la composition, ce sont les rapports de couleurs qui imposent la proportion, non la sacro-sainte perspective. Le résultat est étonnant, certains y voient une analyse ethno/economique ou que sais-je de notre monde global. D’autres reconnaîtront les images enfouies dans leur mémoire de leurs vacances d’enfant ou d’autres encore leur dernier voyage d’affaire à Shangaï..peu importe. Les images qui forment le sujet sur chaque toile sont tellement hétéroclites, personnelles, intimes qu’elles en deviennent universelles. Chacun prend ses repères où il souhaite, chacun peut y voire ce qu’il veut.

Dans sa nouvelle codification, Eric Corne introduit des éléments récurrents à fort potentiel d’imagination :
> La maison.
En apparence banale et identique à toutes les autres mais unique pour chacun, abri de l’intime.
> L’immeuble est la même idée mais à la puissance X.
> Et puis il y a aussi la cabane en bois du Maine, grande ou petite elle est toujours là, demeure et atelier d’un peintre qui réussit à être connu sans sortir de chez lui…elle figure là comme pourrait l’être un portrait en hommage à ce qui ne pourra plus jamais exister..
> L’oiseau est souvent là : son choix est parfois aléatoire, alouette, canard ou autre. Sa seule présence évoque le vol, le voyage, le mouvement, le déplacement d’un point à un autre, la liberté mais aussi le nécessaire repos, sur un immeuble.
> La représentation de l’avion est souvent présente là aussi un oiseau à la puissance X.
> Autre élément, le chemin avec une petite maison au bout, qui ponctue la toile, comme un point qui met un terme à une phrase. Elle souligne la fin de l’histoire mais aussi le début d’une autre, la limite de l’horizon mais le début d’un autre. C’est l’élément qui nous ramène à lui seul à toute l’histoire de l’art, aux anciens car c’est lui qui marque le point de fuite que tous les peintres affectionnent. Ce fameux point de fuite grâce auquel Canaletto nous a montré tout Venise et sa lagune entière sur 2m2..celui qui transforme le peintre en magicien avec des plans successifs qui s’enchainent jusqu’à l’infini. C’est le point référent de stabilité sur lequel le spectateur d’aujourd’hui peut se rassurer.

Bizarrement, j’ai regardé un temps infini toutes ces toiles et j’étais persuadée, en écrivant ces lignes, qu’il y avait des personnages esquissés, des humains. Il a fallu que je revoie les scènes. Non, pas de silhouettes, je l’aurai juré pourtant. Cette réflexion finalement reflète exactement le sentiment que j’ai à l’égard de cette étonnante peinture. Elle est destabilisante, intrigante, nouvelle, avec, par dessus tout, un univers chaleureux qui se dégage de la proposition, c’est vivant emplit d’une belle humanité.

Béatrice Chassepot
le 4 juin 2007

+ d’images, visitez le site de la galerie Patricia Dorfmann clik ici

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